Les Chroniques d'Air de France
 
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Chapitre 6 : Quelques "figures"
Dernière mise à jour le 27 novembre 2006

Quelques "figures"

-----Chaque année, avait lieu le rituel de la photo de classe, prise dans la cour, au moyen d'un vénérable appareil à trépied, par Émile MILANDRE, Monsieur MILANDRE, qui nous visait après avoir passé sa tête sous le grand drap noir en nous disant "ne bougeons plus !". Photographe de métier, il habitait le quartier (la future rue du Berry) et il avait du avoir son heure de gloire dans l'entre deux guerres car son studio était alors situé rue Bab-el-Oued, je crois, en plein cœur de l'Alger de l'époque, et il avait été l'auteur de cartes postales de Bouzaréah mais aussi d'autres villages d'Algérie, plus éloignés (j'ai ainsi trouvé une carte d'Aïn-Bessem portant l'inscription "cliché Milandre").
Cachet du studio "Électric Photo" d'Émile Milandre, à Bouzaréa, apposé au verso d'une photo du CAF (Club d'Air de France)
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------Dans le domaine de l'éducation et de la culture, il faut se souvenir de Monsieur REISENSSEN, un ancien clarinettiste de concert reconverti en professeur de musique, qui essaya de donner le goût et d'inculquer les rudiments de cette discipline à bien des gamins du quartier, mais cette aventure cessa après le décès du vieux musicien. C'est à lui que je dois d'avoir appris, sans trop de peine ni d'effort, le solfège et la pratique d'un instrument, en l'occurrence un accordéon à piano Höhner que mon père avait ramené d'Allemagne, à la fin de la guerre. Parmi les autres élèves de Monsieur REISENSSEN, plus âgés que moi, Pierrot MATHILDÉ, qui épousera la fille CABANIS et qui, sur son accordéon rouge, à boutons, Paolo Soprani, jouait merveilleusement le succès du moment "Mon Petit Cheval Blanco", m'était présenté comme un modèle dont j'étais engagé à suivre les traces.
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Monsieur RIPOLL (dont le fils occupât la fonction de Garde champêtre) et son salon de coiffure pour hommes et aussi pour nous, les jeunes garçons, présidait au cérémonial de la coupe de cheveux. Cela occupait, au moins une fois par mois (la mode était aux cheveux courts, peut-être aussi par crainte de poux) une partie de la matinée du jeudi, jour de congé scolaire, et absorbait une grande partie du temps précieux que nous aurions préféré utiliser pour nos jeux. Les malheureux qui avaient déjà dû consacrer leur matinée du jeudi au catéchisme, n'échappaient pas à cette corvée qui était alors reportée à l'après-midi. Le petit nombre d'infortunés élus qui était envoyé chez le coiffeur ressentait cela comme une injustice car chacun pensait aux copains occupés dans le même temps à disputer des parties de football, à jouer aux noyaux ou aux billes ou à faire des tours de quartier à vélo pendant qu'eux étaient condamnés à attendre plus ou moins patiemment le moment de passer enfin entre les mains expertes de Monsieur RIPOLL. C'était un instant redouté car une fois installé sur la planche placée sur les bras du fauteuil des adultes, il fallait absolument s'efforcer de ne plus bouger et subir le "tac-tac-tac-tac" de la tondeuse à main qui tirait (beaucoup) sur les cheveux en même temps qu'elle les coupait (plus ou moins efficacement). Notre angoisse montait encore d'un cran lorsque Monsieur RIPOLL se saisissait de son impressionnant coupe-chou pour nous dégager, très largement, le tour des oreilles et la nuque, mais cela signifiait aussi que le moment de la libération approchait. Après une humidification à l'eau du robinet (jamais de cette eau de Cologne Houbigant dont pourtant quelques flacons colorés ornaient les étagères du salon de coiffure), pour mettre en forme les courts cheveux restants, la touche finale était donnée par un rapide passage de brosse destiné à nous débarrasser bien imparfaitement des petits cheveux coupés qui nous piquaient le cou, suivi de deux ou trois coups de houppette talquée.
-----Enfin, il y avait aussi un vieux couple, appelons le Monsieur et Madame X. dont le penchant pour les boissons alcoolisées s'était développé avec l'âge, et il n'était pas rare, certains soirs, de les voir rentrer chez eux, se tenant ou plutôt se soutenant par le bras, soudés l'un à l'autre, faisant des embardées sur toute la largeur de la rue, ponctuant leur itinéraire par de vigoureuses engueulades et reproches réciproques, attirant ainsi l'attention de tout le quartier et notamment des plus jeunes qui s'en moquaient plus ou moins discrètement.