Les Chroniques d'Air de France
 
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Chapitre 8 : Animations, vous avez dit animations ?
Dernière mise à jour le 22 décembre 2005

Animations, vous avez dit animations ?

-----En dehors de ces jeux, les animations n'étaient pas fréquentes dans notre quartier et c'est avec un immense plaisir qu'un beau jour d'été nous vîmes débarquer un projectionniste qui nous donna l'occasion d'assister à une séance de cinéma en plein air sur le terrain du boulodrome du BCAF. Ce spectacle fut renouvelé chaque semaine au cours des mois de juillet et août. Un écran était tendu et quelques bancs étaient disposés mais beaucoup de spectateurs préféraient amener leurs propres sièges et les enfants délaissaient les bancs pour s'asseoir à même le sol juste sous l'écran "pour mieux voir". Malgré la saison estivale, il était toujours prudent de se munir d'un lainage voire d'une petite couverture pour résister à la fraîcheur humide des nuits étoilées d'Algérie.
-----Là, vers 21 heures, lorsque que l'obscurité de la nuit devenait satisfaisante, nous avions d'abord droit aux "actualités" Pathé ou Fox Movietone. En fait d'actualités, les évènements dont les images nous étaient présentées étaient loin d'être récents, s'étant déroulés au moins deux mois auparavant mais nous ne les aurions manqués à aucun prix. Il y avait ensuite soit un documentaire, soit un dessin animé. Inutile de préciser ce que nous préférions ! Enfin, après un entracte qui permettait au projectionniste de rembobiner la pellicule et de placer de nouvelles bobines dans le projecteur, c'était le "grand" film. C'est là que nous avons pu découvrir des films gais et enjoués avec Ray Ventura et ses Collégiens comme "Nous irons à Paris" ou "Nous irons à Monte-Carlo", ou avec Jacques Hélian et son orchestre comme "Musique en Tête", mais aussi des films qui emplissaient de frayeur les spectateurs, surtout les plus jeunes, comme "La Bête à Cinq Doigts" qui a continué à hanter nos nuits pendant de nombreuses années, et des films "à l'eau de rose" avec amours contrariés qui faisaient pleurer les femmes et les gamines mais ennuyaient profondément les galopins que nous étions et qui préféraient les films (probablement de série B) avec les cow-boys et les Indiens et l'inévitable arrivée de la cavalerie au moment opportun.
-----Il n'était pas rare que, au moment le plus palpitant, le film s'arrête brutalement, soit parce que la lampe du projecteur était grillée, soit parce que le film s'était cassé. Il fallait attendre alors le changement de la lampe ou la réparation artisanale de la pellicule avant que la projection ne reprenne, sous les applaudissements.
-----Cette animation estivale se poursuivit pendant quatre ou cinq saisons puis cessa, à notre plus grande déception, sans que nous en ayons jamais connu la raison.
-----Il y avait bien eu auparavant quelques timides tentatives du même type mais qui ne s'étaient pas pérennisées. Ainsi nous avions eu l'occasion à deux ou trois reprises de bénéficier de représentations payantes, bien entendu, dans une des salles de l'école, en dehors des horaires de classe, et je me souviens avoir pleuré toutes les larmes de mon corps lors de la projection du film "Les Deux Gamines". Il ne fallait vraiment pas être fin psychologue pour proposer ce type de mélodrame à des enfants de 6 à 14 ans dont était majoritairement composée l'assistance, mais faute de mieux ou de plus adapté, cela avait constitué un intermède salutaire dans la vie de notre quartier que nous ne considérions pourtant pas comme monotone (ou peut-être, n'avions nous pas conscience qu'elle le fût). Quelques projections furent aussi organisées, un temps, par Monsieur TABET, dans son garage, le jeudi après-midi avec un programme principalement bâti autour des films de Laurel et Hardy ou de Charlot.
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Confronté à une telle carence ou, pour le moins, pauvreté d'animation, Monsieur DÉTREZ prenait parfois l'initiative de faire venir à l'école des "artistes" qui exécutaient leur numéro sous le préau de l'école d'Application, avant que ne soient construites les cinquièmes et sixièmes classes. Nous eûmes ainsi, moyennant quelques centimes de l'époque, l'occasion rare d'assister, après la classe à quelques courtes représentations de théâtre de marionnettes qui nous enchantaient car nous étions loin de supposer que ces marionnettes n'étaient que des objets manipulés en coulisse par des humains. Il y eut aussi des récitals de scie musicale et des spectacles de prestidigitation (trop compliqué à dire, on préférait dire "magicien") où l'artiste faisait sortir de sa bouche, une par une, des balles de ping-pong qu'il mettait tour à tour dans sa poche. Et nous étions émerveillés par ce nombre impressionnant de balles dont, dans notre candeur juvénile, nous n'imaginions pas d'où elles pouvaient provenir, ni qu'il y avait un subterfuge qui nous échappait. Nous n'étions même pas surpris de constater que la poche du prestidigitateur (pardon, du magicien !) ne craquait pas malgré la quantité de balles qui étaient supposées y avoir été déposées.

-----En deux ou trois occasions, il y eut aussi, à l'école, des fêtes de fin d'année avec parfois même, un petit spectacle dont les petits et les petites élèves étaient les artistes : acteurs, chanteurs ou danseuses.
Qui pourrait nous faire parvenir des souvenirs et des documents qu'il aurait conservés de ces manifestations ?
Pour le moment nous ne disposons que de ces quelques photos auxquelles manquent encore une légende et une date...
Une chorale La danse La danse
-----Hormis ces petits spectacles, je ne me souviens pas qu'il y ait eu d'autres animations marquantes à l'exception du passage en trois occasions de petits cirques qui avaient installé pour deux ou trois jours leur petit chapiteau sur le terrain vague situé derrière l'école (là où furent implantés les bâtiments de la mairie annexe lorsque Air de France fut avec Dély-Ibrahim et El-Biar rattachée au 7ème arrondissement du Grand Alger).
-----Autour du chapiteau du dernier cirque qui s'y installa pour plus d'une semaine, le "Joe Bill Circus", la présence de quelques ânes qui broutaient les rares herbes de ce terrain, avaient intrigué les enfants car ces animaux n'apparaissaient à aucun moment dans le spectacle. Ayant demandé aux parents la raison de la présence de ces solipèdes, ils s'entendirent répondre que ces malheureuses bêtes étaient destinées à la nourriture des deux ou trois lions qui, eux, figuraient au programme du cirque. Vrai ou faux, toujours est-il que nous ne pûmes que constater une diminution d'une ou deux unités du nombre de ces "bourriquots", au cours du séjour de ce cirque.
----J'allais oublier LA FÊTE (LA FÊTE en majuscules car je n'en connus qu'une seule) qui se déroula à l'occasion de l'inauguration du boulodrome sur le terrain du BCAF. Par un beau soir d'été 1954, les boulistes laissèrent la place aux tourbillons des couples qui, sous les guirlandes de papier et les lampions (et dans la poussière) dansèrent jusque tard dans la nuit les valses, tangos, boléros et one-step, au son d'un véritable orchestre jouant les succès de l'époque "Domino", "La Petite Diligence", "Etoile des neiges, "La Raspa" et les chansons de Patrice et Mario, des Sœurs Etienne, de Jean Sablon, de Line Renaud, et bien sûr de Tino Rossi et de Luis Mariano.
------Et puis, une fois par an, il y avait la course de côte de Bouzaréah. Cette course, qui rassemblait voitures de sport, motos (125, 250 et 500 cm3) et side-cars, ne passait pas vraiment par Air de France. Elle se déroulait en fait, sur la "Route Neuve", partant de la route du Frais Vallon pour arriver, après 5 kilomètres de côte et de virages, à Bouzaréah, un peu avant la Gendarmerie. Les participants de cette course contre la montre s'entraînaient sur ce parcours, le vendredi, le samedi et le dimanche matin précédant la course du dimanche après-midi et, une fois leur parcours terminé, ils devaient, pour regagner le départ, redescendre par l'autre route et donc passer par Air de France. Inutile de dire qu'à cette occasion, nous nous rassemblions le long du parcours de retour pour bénéficier de ce spectacle gratuit et pour admirer ces machines de rêves (Mercedes argentées, Triumph jaunes, MG vertes, Talbot bleues, Aston Martin rouges , Austin-Healey…), les pilotes des plus grosses motos (les Fracès, les Ciancio…) et les side-cars à bord desquels les acrobaties des passagers du side, "le singe" passant d'un bord à l'autre en se penchant presque à frôler la route avec son casque, nous enthousiasmaient en même temps qu'ils nous faisaient frémir d'un respectueux émerveillement.
----Il n'était donné qu'à très peu d'entre nous d'assister à la "vraie" course, parce que nos parents se refusaient à nous y accompagner sous prétexte que cela ne les intéressait pas vraiment, mais peut-être aussi parce que l'accès au circuit était payant. La raison invoquée pour justifier ce refus était le danger potentiel d'accident causé par la perte de contrôle d'un véhicule qui aurait pu faucher des spectateurs. Nous n'avons jamais su si c'était une échappatoire ou si ces craintes étaient vraiment justifiées (on nous disait, qu'avant la guerre, un accident de ce type s'était produit, faisant des morts et des blessés). Seuls les plus malins ou les moins surveillés par leurs parents finissaient, en passant par des chemins de traverse, coupant le vallon du Lotissement Baranès par arriver à des emplacements d'où ils parvenaient à assister, de façon souvent privilégiée, au déroulement de la course sans avoir eu à en acquitter les droits. Les jours suivants, ces heureux élus étaient soumis à la pression amicale mais constante de ceux qui n'avaient pas eu leur chance ou leur culot et se voyaient "contraints" de raconter les péripéties auxquelles ils avaient eu l'avantage d'assister, quitte à en rajouter, à inventer et à enjoliver, pour frapper un peu plus l'esprit de leurs auditeurs. Dans un souci de mimétisme et imitation immédiate, nous transformions alors en motos les vélos que nous ne nous soucions plus d'utiliser pour des courses cyclistes. Cette transformation était rapidement et simplement réalisée par l'adjonction d'un morceau de carton rigide, maintenu par une ou deux pinces à linge sur la fourche avant ou arrière, et qui rendait un son que l'on assimilait au bruit de moteur d'une moto, lorsqu'il était frappé par les rayons des roues.