Les Chroniques d'Air de France
 
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Un texte plein de tristesse et d'émotion d'Hubert Saint Jevin
nouvelle page mise sur le site le 7 avril 2006
 

Après avoir habité Bouzaréah, puis Air de France, j'habitais à Châteauneuf aux HLM de la cité CRS face à l'Armaf.
Ce matin j'avais le coeur gris, alors...
Alors, j'ai écrit ce texte où je parle de mon départ de Châteauneuf pour la France
J'en ai tellement sur mon coeur, que parfois ce n'est pas facile à porter.

Hubert Saint-Jevin, avril 2006

 
 
C'ETAIT TRISTE

C'était un matin du mois de mai.
Un matin qui aurait pu ressembler à tout les autres.
Pourtant ce matin là notre destin allait changer.
Ce matin là, nos parents nous avaient réveillés.
Debout les enfants ! Mais le cœur n'y était pas.
C'est avec le cœur serré que nous nous sommes éveillé.
Ce matin là ma mère nous avait préparés comme pour un voyage sans retour.
Dehors, le temps était beau et le soleil baignait ses rayons dans l'horizon.
Ce matin là, mes sœurs portaient une petite robe et
Moi un petit short, que ma mère nous avait confectionné.
Ce jour là notre appartement sentait le vide, la tristesse
Je regardais mes jouets, peu nombreux mais qui me tenaient à cœur.
Je les regardais en espérant un jour les revoir.
Ce jour là, je fis la tournée des pièces de notre appartement
Ce jour là, je regardais le peu de mobilier que mes parents avaient.
Ce jour là je fis un au revoir à tout ce qui faisait notre quotidien
Ce jour là, comme pour les précédents, je ne fis jamais savoir à mes copains que nous partions
Car partir, c'était déserter, abandonner ce que nous aimions tant.
Ma mère nous avait préparé un grand bol de Blédine
Ce jour là ma gorge nouée eut des difficultés à absorber tout aliment.
Ce jour là, mon père, mon pauvre père retenait ses larmes
Ce jour là, nous sommes montés dans notre vieille 2 CV grise que mon père venait d'acquérir
Gris comme était notre cœur
Nous avons pris la direction d'Alger
Je regardais défiler le paysage que je voyais probablement pour la dernière fois de ma vie
Nous n'entendions que le moteur de la voiture
C'était un silence froid, à peine troublé par quelques mots de mes sœurs
En ce jour du mois de mai, nous nous sommes dirigés vers le port d'Alger
Alger, ce pays qui m'a vu naître, nous en étions chassés.
Je laissais derrière moi, tous mes souvenirs, mes amis, mon école, ma maison
C'était une des pires journées que je croyais vivre
Non le pire n'était pas encore au rendez-vous.
Le pire nous attendait au port, afin de mieux nous marquer pour la vie
Mon père portait nos deux et seules valises auxquelles nous avions eu droit.
Nous sommes arrivées sur le quai d'embarquement. Là un bateau nous attendait
Ce jour là, il y avait une foule immense qui comme nous attendait de fuir
Oui c'était une fuite déguisée en un départ provisoire.
La majorité des adultes qui étaient là, pleuraient.
Il y avait des vieux, assis sur leurs valises,
Des femmes tenant leurs enfants par la main, d'autres au bras.
Les hommes avaient des mines inquiétantes, car quelque chose allait se passer.
Brusquement de violentes rafales de fusils-mitrailleurs retentirent
Ce fût l'affolement général.
En ce matin du mois de mai, les gens courraient, hurlaient, criaient.
Les enfants pleuraient, les femmes aussi.
Mon père nous projeta à terre
Nous étions à plat ventre, cachés derrière nos valises
Mon père, ma mère, s'était couché sur nous.
Les gens hurlaient, les balles sifflaient
Puis il eut une courte accalmie
Alors les gens se précipitèrent pour emprunter la passerelle
Ce qui était le plus navrant, c'est qu'il y avait des contrôleurs de billets
Oui, nous devions quitter notre pays, mais il fallait payer.
Alors les gens, quand les balles sifflèrent de nouveau, forcèrent le passage.
Des gens étaient tombés au sol, certains se faisaient piétiner par d'autres pris d'affolement.
En ce matin du mois de mai 1962, les hommes n'avaient plus de visage humain.
C'était du chacun pour soi.
Une pauvre vieille qui n'avait qu'un chien comme compagnon, fut maltraitée, injuriée
Certains estimaient que dans des moments de paniques, les animaux n'avaient plus leur place
De grands filets, accrochés à des grues, servaient à charger les valises.
Parfois les filets cédaient, alors les valises tombaient à la mer faisant perdre le peu de certains.
A l'embarquement, les frères de notre père étaient là.
Ils nous attendaient.
Nos parents nous confiaient à eux, pendant une période, pour notre exil pour la France.
Nous laissions ainsi derrière nous notre père, notre mère ainsi que notre petite sœur âgée de quelques mois.
Sur le pont du bateau, je regardais Alger qui s'éloignait
Cette image restera gravée à jamais dans mon cœur
La traversée fut assez pénible.
Tout le monde pleurait, sauf les jeunes enfants comme mes sœurs
Ne comprenant pas vraiment le drame que nous étions en train de vivre.
Nous avons dormi sur le pont du bateau, à la belle étoile.
Toute la nuit, nous entendions les bruits des moteurs qui tournaient à plein régime
Toute la nuit, nous entendions des bruits de poulies qui grinçaient
Toute la nuit des gens pleuraient, parlaient, criaient.
Au petit matin, l'air était glacial. Nous approchions de la France.
Nous arrivions à Marseille, sur le pont du bateau, il y avait une certaine effervescence.
Des bruits couraient qu'un certain Gaston Defferre (maire de Marseille) avait lancé
Qu'il ne voulait pas des Pieds-Noirs chez lui, et qu'il fallait les rejeter à la mer.
Je ne comprenais pas pourquoi cet homme avait parlé de cette façon
Mon grand-père avait fait la guerre de 14/18 et mon père celle de 39/45 et nous étions Français
L'accueil, ne fut effectivement pas des meilleurs, mais enfant je ne comprenais pas vraiment.
A notre arrivée, nous avons été parqués dans des hangars qui devaient servir de dépôt
Nous y avons passé la nuit, couchés sur des tables d'autres à même le sol.
Alors je me suis mis à pleurer doucement
Pour ne pas montrer à mes sœurs ma faiblesse de petit d'homme
Mon cœur était trop plein d'amertume cette nuit là.