Les
Chroniques d'Air de France
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Chapitre
11 : "Le Conseil de Révision de la Classe 1962"
d'après les souvenirs de Christian Martinie et de Francis Rambert Dernière mise à jour le 19 Janvier 2006 |
C'était le 9 octobre 1961 (Christian a retrouvé la date sur
son Livret Militaire). Ce lundi là, le temps était gris comme
souvent en automne à Alger. Nous nous sommes retrouvés, sans
nous connaître une quarantaine ou une cinquantaine de jeunes nés
en 1942 domiciliés dans le 7ème arrondissement du "Grand
Alger" (El-Biar, Dély-Ibrahim et Air de France) devant la mairie
d'El-Biar pour répondre à la convocation pour le fameux "Conseil
de Révision". Aucun souvenir de la partie médicale et
administrative, si ce n'est que (moi, Francis) ayant répondu "non"
aux questions suivantes : "avez-vous le Certificat d'Études
Primaire ?", "avez-vous le BEPC (Brevet d'Études du Premier
Cycle) ?" et "avez-vous le Brevet Élémentaire ?",
je me suis vu qualifié d'illettré par le fonctionnaire qui
m'a ensuite demandé si je savais lire et écrire avant que
je pense à lui préciser que j'étais quand même
titulaire du Baccalauréat. A la sortie nous nous sommes laissés tenter par les cocardes et les oripeaux sur lesquels était inscrit "BON POUR LE SERVICE" que deux ou trois marchands bien avisés nous proposaient. Et là, tous ces jeunes gens qui ne se connaissaient pas quelques instants plus tôt décidèrent de "marquer le coup"et de ne pas se séparer comme cela. Mais il nous fallait d'abord récupérer quelques accessoires indispensables à la fête : drapeaux et instruments de musiques. J'étais donc remonté à Air de France pour prendre ma trompette, le vieux cornet à piston de mon père et un clairon de mon oncle. Alors, avec toute la bande de cons crits, munis de cet attirail, nous avons fait, avec grand bruit, la tournée des commerçant d'El-Biar qui nous ont gentiment et généreusement offert de la charcuterie, du pain du vin, pas de Boursin, mais des fromages, des boites de conserves et peut-être même quelque argent. La question s'est alors posée du lieu où consommer ces victuailles et quelqu'un a suggéré "on pourrait aller à Sidi-Ferruch et comme ça on pourrait prendre un bain !" (fallait être un peu badjoc pour proposer cela au mois d'octobre et encore plus maboul pour y souscrire d'enthousiasme). Certains d'entre nous, comme Christian Martinie, avaient des "Vespa" mais, maintenant que nous étions des "hommes", d'autres avaient déjà leur permis de conduire et une voiture (ou celle de leurs parents) et nous nous sommes donc entassés dans une demi-douzaine de voitures (dont l'Ariane grise de Jean-Pierre de Torres) et sur quelques scooters et "roule la route". Bien évidemment, nous n'avons pas de souvenir précis du trajet que nous avons fait en agitant nos drapeaux par les fenêtres et en sonnant fort et faux dans nos cuivres. Sommes nous d'abord allé à Sidi-Ferruch ou plus probablement d'abord à Alger ? Toujours est-il que Christian a retrouvé une photo prise au carrefour des Facultés (rue Charles Péguy, rue Michelet, Boulevard Saint-Saëns et Tunnel des Facultés) par un photographe professionnel (studio ROLANDO, 54 rue Sadi Carnot - Alger) qui avait dû lui aussi flairer l'aubaine et nous suivre pour faire son profit. Nous sommes finalement vraiment allés à Sidi-Ferruch où, excepté notre groupe bruyant et agité, il n'y avait pas un chat (ni même un poisson-chat). Si bien que les patrons du vivier, surpris et amusés, nous ont spontanément offert des bourriches d'huîtres avec des citrons et quelques bouteilles de vin blanc (sans oublier de nous prêter deux ou trois couteaux pour ouvrir les coquillages). Repus et rendus un peu gais par la boisson, certains se jetèrent à l'eau immédiatement après manger sans penser aux problèmes d'hydrocution et sans même avoir testé au préalable la température de l'eau. On avait beau être en Algérie, croyez moi, elle était froide ! Après c'est le noir total ! Aucun souvenir du retour à El-Biar et de la façon dont nous nous sommes séparés, certainement sans même échanger nos noms et nos adresses... Et moins d'un an plus tard, au mois de juin 1962, nous étions convoqués au Camp du Lido (y compris les sursitaires dont le sursis avait été abusivement annulé par ordonnance spéciale) pour accomplir sans délai notre Service Militaire et immédiatement transportés en camions militaires sous "bonne" escorte vers les bases de l'Armée de l'Air (Boufarik, notamment) où nous attendaient des Nord2501 qui nous emmenèrent le jour même soit en France soit en Allemagne. En fait cette manoeuvre n'avait pour finalité que de déporter les jeunes Pieds -Noirs pendant la période sensible du passage à l'Indépendance. Mais ceci est une autre Histoire... Et 44 ans plus tard, Christian a retrouvé cette photo de "joyeux drilles" sur laquelle nous espérons et nous attendons que certains se reconnaîtront.
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