Les
Chroniques d'Air de France
|
Chapitre
1 : Présentation
générale
Dernière mise à jour le 23 janvier 2005 |
Présentation générale -----Air-de-France,
c'est l'endroit où, après avoir quitté mon Bab-el-Oued
natal, j'ai grandi et vécu de 1947, à 1962, et que j'ai
du quitter à 20 ans lors de notre exode.
-----Situé dans le massif du Sahel, sur le versant sud du Djebel Bou-Zaria ("la montagne aux graines"), à environ 310 mètres d'altitude, et à 8 kilomètres d'Alger, ce n'était pas un village, pas même un hameau, c'était un simple lieu-dit, un peu en aval de l'Ecole Normale d'Instituteurs, à l'intersection de deux routes "goudronnées" : celle qui menait de Châteauneuf à Bouzaréah et une route de traverse, dite de Beni-Messous ou route de la Tourelle, qui permettait de rejoindre celle conduisant de Châteauneuf à l'hôpital (appelé à l'époque hospice, après avoir été qualifié d'asile), sans avoir à redescendre jusqu'à l'embranchement de Chéragas. Jusqu'au milieu des années 1950 où quelques-unes furent bitumées, les autres rues d'Air de France n'étaient que de simples chemins de terre, sans trottoir, poussiéreux en été, boueux lors des pluies d'hiver. -----Ce territoire composite, aux limites imprécises, s'était constitué au cours des années 1920, de part et d'autre de ces routes, sous la forme d'une mosaïque de plusieurs lotissements qui, souvent, avaient progressivement occupé les coteaux de propriétés précédemment plantées de vignes, et qui avaient pour noms le lotissement Bachelier, le lotissement Baranès, le lotissement Lafumée, le lotissement Pascal, le lotissement Pignodel. -----Sur la ligne de crête, entre les vallées, deux maigres oueds, l'oued Beni-Messous et ses premiers petits affluents coulant vers l'ouest et l'oued Atoun ou M'Khacel, coulant d'abord vers le sud, puis vers l'est, enfin vers le nord, au fond du Frais-Vallon pour se jeter dans la mer à la Consolation, surgirent donc, sur des lots de 500 à 1200 mètres carrés, les premières maisons individuelles. -----Ces demeures étaient pompeusement qualifiées du vocable de "villas", avec des toits à quatre pentes douces recouverts de tuiles mécaniques et un jardin, parfois en espaliers. Une petite partie, sur le devant de la maison, était souvent consacrée à l'agrément avec diverses sortes de fleurs : arums aux cornets blancs et au pistil jaune, amaryllis roses, cannas jaunes et rouges, iris violets, rosiers odoriférants, jasmins aux effluves entêtantes, héliotropes aux senteurs enivrantes, lilas mauves au parfum plus délicat, frésias, capucines ou mufliers. L'autre partie du jardin, réduit à un rôle plus utilitaire, destiné à agrémenter la consommation familiale était planté d'arbres fruitiers : orangers, citronniers, mandariniers, grenadiers, néfliers, abricotiers (rarement des pêchers), pruniers, pommiers, poiriers, cognassiers et surtout figuiers et, parfois, cerisiers, lauriers-sauces, oliviers ou jujubiers, entre lesquels on pouvait trouver quelques planches de carottes, navets longs, radis, tomates, courgettes et aubergines rondes, concombres, melons dits "cantaloups", pastèques, artichauts violets et cardons, blettes, fèves fraîches, pois chiches ainsi que quelques plants d'herbes aromatiques : menthe, estragon, romarin, persil, céleri. -----Ces villas étaient constituées, pour la plupart, de quatre pièces, sur un seul niveau, agencées de part et d'autre d'un couloir central. L'une de ces pièces, aussi grande que les autres, servait de cuisine, de salle commune où étaient souvent pris les repas quotidiens. Une salle à manger, réservée aux repas de fêtes et aux réunions de famille, une chambre à coucher pour les parents, et une autre pour les enfants (partagée parfois avec la grand-mère) constituaient le reste de l'appartement. -----Dans chaque pièce avait été installée une petite cheminée dont le foyer était fermé par un rideau de fer coulissant, et qui aurait dû réchauffer la maison lors des périodes de froid. A vrai dire, je n'ai, comme beaucoup, jamais vu fonctionner ces équipements pour lesquels l'approvisionnement en bois n'était en aucun cas prévu et que, de toutes façons on n'utilisait pas parce qu'ils "fumaient". Un petit poêle à pétrole, un "démon" ou un "mirus", aidé, à l'occasion, par quelques éphémères flambées d'alcool à brûler, était censé combattre le froid et surtout l'humidité des périodes automnales et hivernales et c'est à ces moyens de chauffage insuffisants que nous devions de superbes engelures aux pieds ou aux mains.. -----Ce n'était pas par hasard que le lieu avait été dénommé "Air de France" car l'été il y faisait agréablement plus frais qu'à Alger, mais en automne et en hiver, bien que la température ne descende pratiquement jamais au-dessous de + 5 ou + 6 degrés, la froide humidité, renforcée par le vent d'Est, nous transperçait malgré l'épaisseur de nos vêtements. Et, exceptionnellement, il pouvait même tomber de la neige ! Ainsi le 5 février 1954 vers 15 heures 30, les habitants d'Alger et de sa banlieue ont été surpris par une averse de neige qui a rapidement recouvert les routes, paralysant la circulation vers les hauteurs : la route du Frais Vallon était coupée par la chute des eucalyptus, brisés par le poids de la neige, et entre la caserne d'Orléans et Saint Raphaël, les trolleybus des lignes 5 (Châteauneuf), 6 (Bouzaréah) et 7 (Ben Aknoun) étaient arrêtés tout au long du parcours, soit parce qu'ils ne parvenaient pas à avancer dans les côtes à cause des chaussées rendues glissantes, soit parce que l'alimentation électriques avait été sectionnée. A Air de France, la couche de neige devait atteindre quelques bons centimètres et, le lendemain matin, bien qu'il y eut un soleil éclatant, elle n'avait toujours pas fondu, et les transports en commun n'avaient pas encore été rétablis, ce qui entraîna une journée de congé imprévue pour beaucoup et, pour les jeunes, l'occasion de faire des bonhommes de neige et des batailles de boules de neige.
|
-----Plus tard, après la fin de la seconde guerre mondiale, au début des années 1950, alors que les limites de la ville d'Alger se révélaient un peu étriquées et que l'évolution des moyens de communication, avec le développement des transports en communs associé à l'essor des véhicules individuels (voitures, motos puis scooters Vespa, Lambretta et Rumi), donnait l'impression de raccourcir les distances, de nouveaux lotissements, plus modernes, plus cossus, s'implantèrent sur les espaces laissés encore libres entre l'Air-de-France originel et la route de Châteauneuf à Chéragas : le Parc de Miremont, avec ses petits immeubles du Printania et du Mansouria, le lotissement Chevalley, et, au-delà, le lotissement de Clairval et les impressionnants ensembles constitués par les groupes d'immeubles de l'ARMAF et ceux de la Cité Fougeroux.. -----Avant cette époque, pour aller d'Alger à Air-de-France ou Bouzaréah, les transports en communs se résumaient à la ligne de tramways jaunes des Transports et Messageries du Sahel dont les initiales TMS avaient été détournées par les usagers en "Très Mal Servis" en raison de la ponctualité aléatoire des convois et du confort spartiate des voitures. Cette ligne partant de la Place du Gouvernement, à Alger, ne dépassait pas Châteauneuf où la compagnie avait son terminus et son dépôt et de là, il fallait attendre un hypothétique autobus aux horaires improbables pour espérer poursuivre sa route. -----Mais maintenant les trolleybus (on disait les trolleys) chocolat et crème des CFRA (puis bleu ciel et blanc de la RDTA) de la ligne numéro 6 de Bouzaréah à Alger (Place de la Régence) parcouraient de façon moins irrégulière la route qui traversait le village avec arrêts à l'Ecole Normale, à Air-de-France (carrefour), au Lotissement Pascal, au Parc de Miremont et au Lotissement Chevalley. -----A Air-de-France, il n'y avait pas de mairie (on dépendait de la commune de Dély-Ibrahim), pas d'église (alternativement rattaché à la paroisse de Bouzaréah dirigée par l'abbé SUCHET puis à celle de Dély-Ibrahim avec les abbés SERRALTA et NEAU, et de nouveau à celle de Bouzaréah), pas de mosquée, pas de place centrale, pas de bureau de poste (l'adresse postale était "Air de France par Bouzaréah"), pas de gare, pas de monument aux morts, non plus. -----Mais on pouvait cependant sentir vivre une âme, un cur, qui, selon l'âge et le sexe des ses habitants, s'exprimait autour de deux ou trois deux pôles : les cafés et les boulodromes pour les hommes, les commerces d'alimentation pour les femmes, l'école primaire pour les jeunes. |